19 nov. 2012

Le langage des amateurs de bières de dégustation


Dans cette série de billets sur le vocabulaire utilisé par une majorité d'amateurs de bière de dégustation, nous tenterons d'explorer des tendances langagières récentes nées soit d'un isolement virtuel (communication par internet), soit d'un environnement de plus en plus "spécialisé" faisant fi du sens transmis auprès d'une population néophyte. Peu importe la question abordée, il se peut fort bien que nous méritions de visiter le bûcher autant que vous...


Photographie de David Gingras

Question #1:
Lorsque nous publions nos commentaires de dégustation sur internet, est-ce que nos goûts personnels doivent avoir préséance sur une juste description de la bière en question?

L'amateur de bière de qualité se croit souvent plus ouvert d'esprit que le buveur moyen. Après tout, il boit des bières racées, remplies de saveurs parfois intenses, mais surtout très différentes de celles des bières génériques de brasseries industrielles. Cependant, il nous arrive de constater, surtout sur des forums virtuels sur le sujet et/ou sur des sites tels Ratebeer.com ou Beeradvocate.com, que certains de ces dégustateurs semblent fortement privilégier un profil de saveurs particulier à tout autre. Par exemple, il n'est pas rare de lire qu'une Pilsener est parfaite pour le style, croustillante, bien équilibrée, etc. Mais lorsque la personne en question inscrit son pointage sur Ratebeer, par exemple, on remarque étonnamment que cette bière d'apparence impressionnante (si on se fie au langage utilisé pour la décrire) frise à peine le 3 sur 5. La raison: "cette bière ne cadre pas dans mes goûts personnels", nous confie le dégustateur en question. 

N'ayez crainte, il n'y a pas que le passionné de bières liquoreuses qui regarde les bières de soif de haut.  Il existe aussi certains dégustateurs qui décrivent une bière liquoreuse et richement caramélisée tel un Barley Wine anglais avec des termes tels "manque de buvabilité" et "trop sucrée" même si ce type de produit ne vise surtout pas la 'buvabilité' ou une parcimonie au niveau des sucres résiduels. On aurait dit que ces buveurs recherchent le même profil peu importe le type de bière en dégustation. Dans ce cas-ci, surtout pas de sucres résiduels qui encombreraient la facilité avec laquelle ils ont le goût de boire à ce moment précis. Les goûts personnels priment sur tout, sans souci pour l'objectif premier du produit.

À vous de trancher: est-ce qu'une appréciation juste du produit, teintée de parcelles de subjectivité, serait préférable au partage sans filtre d'impressions personnelles lors de communications virtuelles? Ou est-ce qu'un tel filtre ne ferait que mettre des obstacles vers notre atteinte du plaisir?

11 commentaires:

Pinot a dit…

Je suis d'accord avec vous. Je crois que les amateurs de bières qui participent aux forums tels Ratebeer.com ou Beeradvocate.com sont très biaisés.

Par exemple, si on regarde le top 10 des bières sur Beeradvocate.com, on voit que la moyenne du % d'alcool est 10.82%... En fait, aucune bière dans ce même top 10 a un pourcentage d'alcool sous 8%.

Dans le top 13, on retrouve 7 Imperial Stout ainsi que 4 Imperial IPA.

Je pense que le bias est assez évident.

Martin Thibault a dit…

Comme dans la vraie vie, il faut savoir débroussailler le tas d'information qui nous est offert afin de trouver des gens avec lesquels on s'entend bien. Sur Ratebeer, David et moi avons des amis de longue date sur lesquels on se fie lors de voyages et d'achats à l'étranger. Ces gens ne représentent pas le Ratebeerien moyen (ils aiment autre chose que les Imperial Stouts, imaginez! ;P) mais ils utilisent le site tout de même depuis belle lurette. La masse utilisatrice est évidemment biaisée. Mais il existe tout de même plein de gens qui font un effort afin de propager des opinions et des informations différentes. Il faut de la patience pour les identifier, mais il y en a tout de même plusieurs, je vous assure. ;)

Anonyme a dit…

Name dropping! Name dropping! :P

Capsules Bière a dit…

C'est une des raisons pour laquelle je n'aime pas l'attribution de notes.

Sur mes feuilles de dégustation j'utilise une manière différente de pointage. De plus, je juge toujours (ou presque) les bières par rapport à leurs styles. Évidemment, c'est assez difficile de rester objectif puisque nos préférences prennent parfois le dessus.

Dans mon "top bière", s'y retrouvent autant des Pils, Weizen, Imperial Stout ou Barley WIne.

Maxime a dit…

À mon avis, il y a deux façons d'évaluer une bière :

1- Celle de la dichotomie, c'est-à-dire on aime ou on n'aime pas.

2- Celle évaluative où il est important de considérer le style et le contexte. Par exemple, si l'on veut critiquer un Barley Wine pour en parler sur les tribunes comme Ratebeer.com, il faut d'abord avoir une idée générale du style.

À mon avis, apprécier la bière est comme apprécier la musique : si on écoute que du metal et qu'on trouve qu'il n'y a pas assez de guitare électrique dans le jazz, on a un problème.

Martin Thibault a dit…

@Capsules: Bon point sur les pointages. :) L'attribution d'une note semble augmenter l'effet d'un commentaire simplement subjectif. Si on s'en tenait aux adjectifs, par exemple, il y a des chances que la situation serait moins alarmante.

@Maxime: Belle analogie avec le heavy métal. Il y a peut-être un lien à faire entre l'utilisateur moyen de Ratebeer et Beeradvocate (mâle entre 20 et 40 ans), ses goûts musicaux et son amour pour les Imperial Stouts. Reste à trouver une université pour sanctionner cette thèse de doctorat. ;)

Mathieu a dit…

Comme pour une critique de musique ou de cinéma, je trouve que la subjectivité de l'auteur peu être agréable à lire, et même utile, dans la mesure où l'on connait ses goûts. Par exemple, si je sais que l'auteur est un fan d'IPA et qu'il me conseille vivement une blanche aux fruits, j'en tiendrai compte.
Autrement, je crois que l'emploi de mots plus "neutres" peut aider à se comprendre. Par exemple, si on me parle d'une bière "liquoreuse" ou "houblonnée"... etc. Je peut en déduire ce que je veut, il n'y à pas de biais dans la critique. Ceci dit, il ne me resterait plus qu'à lire une liste d'ingrédient et de chiffre (IBU, % d'alcool, OG-FG...) pour me faire une idée moi-même.
Bref, je crois que c'est le propre d'une critique d'être biaisée. Il faut seulement que l'auteur le reconnaisse pour qu'on ne soit pas pris au piège.

Bière-Luc a dit…

Je crois que la subjectivité est importante dans le cas d'un site comme Ratebeer, justement, qui agit un peu comme une base de données de connaissances et d'expériences. Quand quelqu'un cherche une bière sur Ratebeer, il s'attend à avoir des infos précises sur le produit.

Mais quand je donne mon avis sur mon blogue, je m'attends à ce que le lecteur comprenne qu'il s'agit de mon opinion et que je parle principalement de ce que MOI j'aime et de ce qui m'intéresse. Les gens qui me lisent, j'ose croire, le font pour découvrir de nouvelles choses ou pour avoir mon avis sur un produit particulier. Même chose de mon côté, si je vais sur le blogue du Joual Verre ou du Beer Jedi, par exemple, c'est pour avoir leur vision de ce qu'ils ont bu récemment.

Martin Thibault a dit…

@Bière-Luc: Bien d'accord avec toi pour ce qui est des blogues qui ont un objectif bien personnel.

Pour ce qui est de Ratebeer, la subjectivité domine aussi. Mais l'objectif du site, comme tu le dis, se veut tout autre. On remarque aussi qu'avec le très grand nombre d'utilisateurs que cette subjectivité a des effets autres qu'offrir des 'infos précises sur le produit': il y a un biais évident des utilisateurs envers tout ce qui est intense et foncé. Est-ce vraiment offrir de l'info précise sur un produit si la grande majorité des bières fortes et foncées ont un pointage beaucoup plus élevé que la grande majorité des bières pâles et dans les 4-6% d'alcool? Évidemment, une personne au courant de ce biais peut l'outrepasser, mais il reste que des centaines de nouveaux amateurs de bière croient qu'une 'très bonne' bière doit être intense et foncée à cause de sites comme Ratebeer. Je trouve ça dommage.

Bière-Luc a dit…

@Martin : Alors devrait-il y avoir une modération à la baisse, systématisée automatiquement, pour les bières foncées et plus fortes? Je pense que la réponse est non puisqu'il existerait une forme d'injustice. Si les bières fortes et foncées ont de meilleures notes, c'est parce que les amateurs les préfèrent (même si ça semble biaisé). Et à ce titre, si c'est vraiment le cas, je crois qu'elles méritent réellement d'avoir de meilleures notes.

Évidemment, les bières plus «tranquilles» n'ont pas à rougir devant les bières qui frôlent la démesure. Selon moi, il ne faut pas comparer une pale ale américaine avec un barley wine, comme il ne faudrait pas comparer un vin avec un porto. Ça fait un peu partie de la même famille, mais ce sont deux produits, vous en conviendrez, totalement différents. Je pense que le monde de la bière n'a pas fini d'évoluer. Plusieurs liqueur de malt voient même le jour et d'autres produits qui s'éloignent de plus en plus de notre perception traditionnelle de la bière. À partir de là, il devient de plus en plus difficile d'évaluer selon une base de critères communs.

Martin Thibault a dit…

Je ne crois pas à la modération systématique non plus. Une des sources du problème est la liste Top 50 "Best in the WORLD" que Ratebeer publie en grandes pompes à chaque année. Celle-ci ne fait la promotion que de grosses bières, à quelques exceptions près. Et cette liste influence des milliers de gens sur la planète tellement elle est médiatisée.

Si ces bières ont de si bonnes notes, c'est que les amateurs du SITE les préfèrent. Et en publiant de telles listes, avec les années, le site s'est attiré d'autres gens qui avaient des goûts similaires. J'ai bien peur que plusieurs amateurs de lagers allemandes (par exemple) ne se sentent pas à l'aise de participer sur Ratebeer. Les amateurs du site, justement, sont surtout des nord-américains qui sortent très peu de leurs régions. Donc la base de données de Ratebeer est une superbe source d'informations pour ce qui est 'hot' en Amérique du Nord. Mais elle a des répercussions qui deviennent problématiques sur le reste de la planète-bière puisqu'elle est en train de créer de nouveaux amateurs qui portent déjà des oeillères avant même de connaître ce qui se fait ailleurs. C'est plutôt ça qui m'inquiète. Mais pas tant que ça, quand même; je m'ouvre une bonne bière, peu importe le style, et ça passe. ;)