26 juin 2011

La nouveauté à tout prix



Notre dernier article, Goûter 365 bières en une année, avait pour mandat de fournir quelques trucs pour faciliter la tâche de ceux qui cherchent à étendre l’étendue des bières qu’ils ont essayées. À notre avis, c’est une excellente approche pour tout dégustateur que de se frotter à la nouveauté de la sorte, de manière à laisser le monde de la bière le surprendre et à en suivre l’évolution. De plus, les dégustateurs se dotent ainsi d’un cadre de référence à partir duquel ils sont mieux à même de déterminer des bières qu’ils préfèrent. Par la suite, ils peuvent faire des choix plus éclairés en fonction de leurs préférences personnelles, maintenant beaucoup plus claires. Certains consommateurs poussent toutefois cette pratique à l’extrême. Face aux tablettes bien garnies d’un détaillant spécialisé, ils choisiront toujours cette bouteille qu’ils n’ont jamais essayée auparavant, laissant derrière de nombreuses bières qu’ils adorent et ne se lassent pas de vanter à qui mieux mieux.

L’explication de ce comportement tient probablement à une application quelque peu tordue de la loi de l’utilité marginale décroissante selon laquelle chaque unité supplémentaire d’un même bien apporte une satisfaction moindre que celle qui la précède. En étirant cette loi économique dans ses plus profonds retranchements, nous pouvons imaginer que pour le dégustateur avide de nouveautés, acheter la même bière plus d’une fois apporte beaucoup moins de plaisir que de se procurer une nouveauté. La nouveauté peut combler cet esprit du collectionneur qui sommeille en nous, esprit pour lequel une nouvelle bière comporte une valeur ajoutée en ce qu’elle représente la conquête de l’inconnu, comme l’atterrissage d’un avion dans un pays que nous n’avons encore jamais visité. Ultimement, certains dégustateurs préféreront une vie d’aventuriers et accorderont plus d’importance à la nouveauté alors que d’autres se montreront plus casaniers dans leurs habitudes. Entre ces extrêmes, il existe une multitude d’équilibres et les prochains paragraphes vous aideront à mieux cerner le nôtre.

Sincèrement, nous sommes déjà passés par cette phase de recherche de la nouveauté à tout prix. C’est une période très mouvementée et riche en apprentissages dans une carrière de dégustateur. Cependant, nous optons maintenant pour davantage de modération à l’égard de l’achat systématique de tout nouveau produit. L’objet du reste de cet article est d’en fournir quelques justifications.

Premièrement, certaines brasseries produisent malheureusement des produits de piètre qualité. En achetant régulièrement leurs nouvelles offrandes, nous contribuons à leur survie. Et leur survie enlève des parts de marché aux nombreuses microbrasseries qui méritent davantage de succès tout en décourageant certains néophytes dont le premier contact avec la bière artisanale est peu concluant puisque la saveur de comptoir de pharmacie ou une bouteille qui se vide d’elle-même à l’ouverture ne constitue pas un pas en avant.

Ensuite, la quantité de nouveautés est nettement supérieure en 2011 par rapport à ne serait-ce que quelques années auparavant. Ce faisant, l’intention noble d’être au-dessus de ses affaires et d’avoir essayé toutes les bières disponibles sur les tablettes du Québec n’est carrément plus possible. Or, tenter de presque tout essayer est loin de fournir la même motivation que de réussir à tout essayer.



Par ailleurs, sans nécessairement compter nos consommations, nous considérons que celles-ci demeurent relativement limitées. Outre lors de périodes exceptionnelles comme des vacances à l’étranger (dans ces moments de grâce, la recherche de la nouveauté reprend souvent le dessus!) ou des festivals de bière, nous limitons notre consommation à des seuils qui pourraient être jugés raisonnables. Le mardi soir typique est rarement arrosé de plusieurs bières différentes. Or, pour parcourir le déferlement impressionnant de nouveautés qui défilent sur le Québec, il faudrait soit accroître notre consommation au-delà d’un niveau qui nous semble confortable, soit délaisser complètement tout ce qui n’est pas nouveau. Ceci nous amène à la prochaine raison… Nous tenons à visiter régulièrement certains produits qui nous font vibrer! Après plusieurs années de dégustation, certaines bières se sont bien établies au sommet de nos hiérarchies personnelles. Ce qui est intéressant dans tout ça, c’est que ce ne sont pas toutes des bières difficiles à dénicher. Qui plus est, après avoir essayé plusieurs milliers de bières, il est peu risqué d’assumer que nos favorites ont été bien soupesées, étudiées sous toutes leurs coutures et sont réellement des produits d’exception à nos papilles. Il serait ridicule d’avoir travaillé fort à établir une base de référence d’une certaine profondeur en essayant plusieurs produits sans, par la suite, tirer bénéfice des bières qui ont marqué nos parcours en les revisitant fréquemment.

Il faut toutefois demeurer conscient que notre bagage de dégustateur est en continuelle évolution, tout comme les modes parmi les brasseurs et leur clientèle. Nos goûts changent aussi de manière bien perceptible au fil des mois et des années. Il convient donc de revisiter, occasionnellement, certains produits qui nous ont plus ou moins charmé afin de tester la robustesse de nos références. Nous continuons donc à essayer quantité de nouveautés, avec une attention particulière pour certaines brasseries qui nous ont offert de beaux moments par le passé. Ce faisant, nous avons toujours espoir d’être séduits par une nouveauté qui s’intégrera à notre palmarès de bières immensément agréables que nous voudrons visiter à répétition. Après tout, la polygamie est mieux acceptée par les bières québécoises que par les femmes, surtout quand on paie pour leurs services.

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