27 janv. 2013

Le doigt d'honneur aux saveurs saisonnières

Le Québec a vécu récemment une vague de froid qui était sur toutes les lèvres. Le monde brassicole offre plusieurs options pour qui veut s’extirper, le temps d’une gorgée, de ce froid qui l’empêche pratiquement de jouir des plaisirs que lui offre l’extérieur de sa maison, de son milieu de travail, de son pub favori, le « dehors », bref.



C’est vrai! Certains arômes, certaines saveurs évoquent carrément la chaleur. Elles permettent de réchauffer l’âme affligée des supplices hivernaux. Au premier rang de ces dites saveurs chaudes trône évidemment l’alcool, qui se passe de présentation. Non loin derrière, le rôti présente un caractère réchauffant réconfortant. En sirotant un Stout qui ne dépasse même pas les 5% d’alcool, on sent néanmoins les effluves de café qui ne peuvent qu’évoquer la chaleur à laquelle les grains ont été soumis afin de terminer leur jour avec une robe ébène sans équivoque. Similairement, mais peut-être dans une moindre mesure, les notes de caramel et de fumée évoque un processus réconfortant pour les esprits frigorifiés. De façon plus saugrenue, le feu des bières très épicées réchauffe la tête autant que la langue et fait vite oubliée la maussade température extérieure.



Nous vous entendons déjà nous dire que nous ne vous apprenons rien. Facile à dire, vous en savez déjà tellement! Vous connaissiez évidemment déjà ces trucs de Québécois aguerris. Laissez-nous donc vous dire qu’il existe une autre approche, tout aussi jouissive de se tropicaliser l’imaginaire. Nous avons nommé : le doigt d’honneur à l’hiver. Quelle meilleure façon de confronter un froid glacial que de le renier, de lui boire une bière hautement rafraîchissante en pleine face. Le confronter à grands traits de foin, d’acidité, d’amertume, de gazon, de fruits et d’agrumes. Amenez-nous ces bières acides, ces Bitters, ces Saisons et autres Pilsners. Ces fidèles alliés ont conquis nos univers estivaux, elles méritent bien mieux que de se défraîchir sur les tablettes en attendant la belle saison. 

21 janv. 2013

L'Oie Blanche, de la Microbrasserie des Beaux Prés, à Ste-Anne-de-Beaupré


Luc Boivin, maître-brasseur de la Microbrasserie des Beaux Prés
Photographie: David Gingras

Luc Boivin semble manier le blé avec une passion et un respect de l'authenticité hors du commun dans nos contrées. En effet, peu de brasseurs nord-américains traitent leurs Weizens, par exemple, avec autant de respect (voire la fiche Grand Cru de sa St-Joachim Weizenbock pour un autre exemple). Celle-ci, l'Oie Blanche Weizen, propose toutes les subtilités issues du caractère fermentaire propre au style, en plus du corps douillet, de l'équilibre des flaveurs et de la buvabilité immense du tout. Ne resterait maintenant qu'à l'embouteiller avec les mêmes niveaux de gazéification que les bavarois (hint, hint ;D). Suite à ce rêve à peine voilé de notre part, voici la fiche Grand Cru de cette sublime Oie Blanche! 

Style : Hefeweizen; bière de blé d'inspiration bavaroise. Ou, si vous préférez, une blanche délicatement épicée et fruitée, dont le profil de saveurs provient uniquement des céréales, des houblons et du caractère fermentaire, contrairement aux blanches belges (Witbier, utilisant aussi écorces de fruit et épices).

Disponibilité: En tout temps au brouepub de Ste-Anne-de-Beaupré. De temps à autre, comme bière invitée aux bonnes adresses de la province.

Le coup d’œil : Un nuage de mousse s'établit sur la robe jaune pâle voilée aux accents ambrés, suivant la bière jusqu'au bas de la pinte.

Le parfum : Des notes d'agrumes, de fleurs, de bananes et de gomme-balloune se côtoient amicalement, à un niveau d'intensité modéré. On prend plaisir à y plonger le nez, quitte à s'y coller un peu de mousse sur le museau...

En bouche : Le blé croquant et les esters de banane bénéficient d'une touche terreuse et minérale, en plus de voir apparaître à l'occasion un angle fruité rappelant celui de la mangue.

La finale : L'amertume herbacée est bien nivelée au niveau d'intensité modéré de cette bière, rendant le tout encore plus facile à boire à grandes lampées.

Accords : Bien que la boustifaille de la microbrasserie possède toujours quelques options qui accompagneront vaillamment cette Weizen, il faut avouer que la vue sur le fleuve qu'offrent la terrasse et la salle arrière de la Microbrasserie des Beaux Prés vont de pair avec les flaveurs apaisantes de l'Oie Blanche.

Pourquoi est-ce un grand cru? : Voir paragraphe d'introduction. ;))

Si vous avez aimé, essayez aussi : La Belle Gueule Hefeweizen, de Brasseurs RJ (à Montréal), la Bünnweizen, de la Succursale (à Montréal), la Hofmann Weiss, de Moat Mountain (au New Hampshire) et la Hacker-Pschorr Weisse (Allemagne, à SAQ).

14 janv. 2013

Les pâturages brassicoles de la Lituanie - Panevėžys et conclusion


Notre périple d'exploration brassicole en Lituanie semble avoir touché une corde sensible chez certains acteurs importants de l'univers de la bière. Nous avons eu la chance d'écrire le chapitre sur ce pays dans la prochaine édition du World Atlas of Beer (version 'Pocket Guide') de Tim Webb et Stephen Beaumont, à paraître en 2013. Evan Rail du New York Times, de son côté, partage l'engouement pour certaines de nos découvertes dans le journal new-yorkais (voir le #24 de cet article). Nous allons même figurer dans son nouveau projet de livre recueillant les meilleurs exemples de littérature brassicole publiée en anglais. Il faut croire qu'il fallait que ce voyage se fasse, par nous ou quiconque, un jour ou l'autre. En espérant que le tout serve à éclairer davantage cette scène brassicole voilée du reste de la planète pour qu'elle puisse perdurer!

Voici donc sans plus tarder notre dernier article sur le sujet, cette fois-ci sur la ville de Panevėžys, sise entre le nord-est campagnard et la capitale de Vilnius au sud du pays. Cette partie du voyage est nettement moins difficile à entreprendre que celle des campagnes où les brasseurs traditionnels se méfient des étrangers essayant de leur acheter une bière. Même que trois des quatre établissements décrits ci-dessous ouvrent leurs portes à tout le monde; de véritables bars, quoi! 

Gyvo Alaus Krautuvelé, au Savanoriu Aikštė 4a




Un verre de la somptueuse Velykinis Porteris Tamsus, une spécialité saisonnière du groupe brassicole Aukštaitijos Bravorų


Ce bar à bière met en valeur les créations des cinq brasseries appartenant au groupe Aukštaitijos Bravorų: Taruškų Alaus, Kurklių Bravoras, Kupiškio Alus, Miežiškių Bravorą et Butautu Dvaro. Si vous avez lu nos articles précédents sur chacune d'entre elles, vous avez remarqué que la qualité des bières servies ici ne peut qu'être très élevée. C'est donc dans une ambiance estudiantine, sans prétention, qu'on peut s'abreuver de nombreuses bières différentes, en fût comme en bouteille, d'une compagnie qui pourrait à elle seule faire renaître de multiples recettes traditionnelles lituaniennes auprès d'une clientèle grandissante.

Tauros Loftas, au Senamiescio Gatvé 29
Vidmantas, notre guide nous ayant grandement aidé à ouvrir plusieurs des portes closes à des étrangers, nous présentant le bar de la brasserie Taura.

Un autre étrange bâtiment que ce Tauros Loftas. Dans un quartier industriel non loin du centre de Panevėžys, attenant la brasserie, cet immense pièce pourrait accueillir une bonne centaine de clients. Pourtant, personne ne semble l'investir sauf en période de spectacle en fin de semaine. Qu'à cela ne tienne, la bière phare de la brasserie, une bière dorée parfaitement conçue, tient la route jusqu'à son amertume herbacée soutenue. Aucun caractère intrinsèquement lituanien, mais qu'importe. Ça fait du bien de remettre les papilles sur terre à l'occasion.

Une pinte de la Taura Lofto, version "nefiltruotas"

Prie Uosio, au Laukiame Birutes Gatvé 8
Quelques verres de Seklyčios, une superbe bière de soif aux malts toastés saillants

Trouvez l'arbre sur lequel des centaines de clés sont cloués et vous serez à quelques pas de ce chaleureux bar appartenant à la brasserie Piniava Alutis. Les boiseries et les nombreux vases à service rajoutent à l'ambiance traditionnelle où les chants spontanés (photo ci-dessous) peuvent éclater à n'importe quel moment. Suffit d'attendre le premier client qui se sent d'attaque...



Alaus Purslai
Recirculation du moût lors d'un brassin de la Gintarine Puta

Cachée dans un bâtiment aux allures de bloc à appartements (photo ci-dessous) dans un quartier résidentiel, cette microbrasserie vend ses bouteilles de plastique dans quelques commerces du coin. Heureusement pour ceux ne désirant pas s'aventurer au nord de Vilnius, sa bière phare, la rafraichissante Gintarine Puta, une Šviesus sèche et bien maltée, est souvent disponible en fût au Alaus Namai. Comme c'est le cas pour la majorité des brasseries lituaniennes, celle-ci est impossible à visiter à moins d'avoir quelques contacts et que le maître des lieux soit de bonne humeur ce jour-là...



Ceci conclut notre guide de voyage brassicole sur la Lituanie. Merci à tous ceux qui nous ont aidé dans nos recherches à dénicher ces brasseurs, ces bières et ces histoires, notamment Martynas Savickis de Tikras Alus et Vidmantas Laurinavicius, de Alaus Brolija. Valentas (ci-dessous) et Les Coureurs des Boires vous disent un gros "merci" et, surtout, "chapeau"! 


Pour (re)lire les neuf premiers articles de ce périple d'exploration brassicole en Lituanie, rendez-vous à la fin de cette page.

10 janv. 2013

La Leo's Early Breakfast IPA, de la Brasserie Dunham

Photo gracieuseté de la Brasserie Dunham

Dunham nous gâte encore une fois avec cette Leo, une recette qui s'est pointée le bout du nez pour la première fois au festival Bières et Saveurs de Chambly en septembre dernier. Issue d'une collaboration avec Andreas Kissmeyer, réputé brasseur danois, nous avons ici le fruit d'une imagination et d'un savoir-faire riches. Voici sa fiche Grand Cru!

Style : Cette bière est la rencontre d'une India Pale Ale façon Nouveau Monde (donc généreuse dans son partage de flaveurs de fruits tropicaux issus des cultivars du nord-ouest des États-Unis et de la Nouvelle-Zélande), de purée de goyave et de thé Earl Grey (bergamote). Une recette hautement créative sur toute la ligne. 

Disponibilité: Le premier brassin embouteillé a atteint nos étagères avant le Temps des Fêtes, mais d'autres brassins s'en viennent afin de pallier au vide déjà créé en magasin. 

Le coup d’œil : Une tuile de mousse survole la robe ambrée discrètement voilée. 

Le parfum : La goyave, les fruits tropicaux des houblons (notamment le Nelson Sauvin) et la bergamote vivent en parfaite harmonie, offrant une personnalité et une complexité uniques à cette IPA. 

En bouche : On en redemande à chaque fois que notre nez s'approche du verre; tant mieux puisque le profil de saveurs renchérit sur le parfum si envoûtant, ajoutant une dimension résineuse parfaitement équilibrée à toutes ces captivantes notes fruitées. 

La finale : Le corps douillet et jamais gras mène à une amertume résineuse bien dosée. Ce n'est pas une bombe d'amertume comme leur Imperial India, pour vous donner une idée. 

Accords : Un satay de poissons sur vermicelles de riz, par exemple, ou tout autre plat avec une finale piquante qui s'enticherait de fruits tropicaux. On peut penser à plusieurs types de caris.

Pourquoi est-ce un grand cru? : Complexe, rafraîchissante et juste assez différente pour se démarquer du lot, la Leo possède également un profil de saveurs jamais trop intense, jamais trop gêné. Et puisque le tout est bien équilibré et harmonieux, franchement, avec un tel niveau de complexité imposé par les nombreuses variables en présence, difficile de ne pas crier au génie.

Si vous avez aimé, essayez aussi La Sabotage, du Benelux (Montréal), la Houblon 9, du Cheval Blanc (Montréal) et la Edward, de Hill Farmstead (Vermont).


3 janv. 2013

Le langage des amateurs de bière - 2e partie, édition Post-Temps des Fêtes


Dans cette série de billets sur le vocabulaire utilisé par une majorité d'amateurs de bière de dégustation, nous tenterons d'explorer des tendances langagières récentes nées soit d'un isolement virtuel (communication par internet: premier article), soit d'un environnement de plus en plus "spécialisé" faisant fi du sens transmis auprès d'une population néophyte. Peu importe la question abordée, il se peut fort bien que nous méritions de visiter le bûcher autant que vous... 

Photo: David Gingras

Question #2:
Est-ce que l'amateur de bière de dégustation devrait faire attention à son langage lorsqu'il sait qu'il sera entendu par des gens qui ne sont pas des initiés du milieu?

Dans un contexte familial, comme c'est souvent le cas dans le temps des Fêtes, lorsqu'en présence de gens non amateurs de bière, il arrive souvent qu'un amateur de bière de dégustation décide d'étaler sa passion pour le divin breuvage dans son verre. Normal. Et lorsque le beau-frère lui demande si la bière X de microbrasserie qu'il a vu au supermarché vaut le prix, le dit amateur chevronné maintient le cap: il fera preuve de sens critique et dira ce qu'il pense franchement de cette bière 'correcte, mais sans plus'. Après tout, pourquoi changer son langage lorsqu'on parle d'un produit que l'on connait mieux que tous à la table, n'est-ce pas?  

Cependant, est-ce que le manque d'enthousiasme de cette réponse ('correcte, mais sans plus') pourrait être interprété par un néophyte comme étant la description d'un produit moins qu'ordinaire alors que, objectivement, la bière en question ne possède aucun défaut, même qu'elle est décrite comme étant 'délicieuse' par d'autres bièrophiles? En d'autres mots, est-il plus important de s'affirmer comme amateur de bière de dégustation avec des opinions, même lors de situations conviviales comme les soirées du Temps des Fêtes, que de partager son engouement pour le type de produit en général?