La bière qui m'a vraiment conquis est cependant la Bitter de la maison. Aussi bien confectionnée que le reste du menu, elle se démarquait tout de même par son union de richesse et de simplicité. Riche, elle l'était parce que ses ingrédients authentiques (tous directement d'Angleterre) s'exprimaient avec franchise et profondeur. Simple, elle l'était aussi parce que la liste de ses ingrédients est relativement courte et ses saveurs vont droit au but. Il est très rare que la bière blonde de la maison est conçue avec tant de soin; souvent, on la crée en voulant plaire à monsieur et madame tout le monde, la présentant avec peu d'arômes et de saveurs. Chez Albion, même si cette blondinette ne titre que 3,9% d'alcool, on ne se vautre pas dans l'insipidité, au contraire. Le malt Marris Otter impressionne de ses notes de céréales amples et subtilement miellées, une base parfaite de laquelle lévite tranquillement une amertume de houblon feuillue et soutenue. Du grand art pour une bière que d'autres considéreraient "légère" étant donné son taux d'alcool moins élevé que la moyenne. Comme si ce n'était pas assez, cette Bitter est conditionnée en fût; elle n'est donc pas gazéifiée aussi intensément que si elle était poussée au gaz carbonique. Son côté avenant en est rehaussé.
Le pub du Albion est un petit dédale de pièces boisées; difficile de ne pas y trouver un petit coin à son goût. Le menu de bières reflète cette même volonté de plaire à plusieurs. Les 5 bières-maison du moment, à elles seules, proposaient une panoplie de saveurs différentes. La Blanche de Joliette, une blanche d'inspiration allemande, rafraîchit de ses angles citronnés. La Chiniquy Mild Ale, une rouquine, vise l'amateur de saveurs caramélisées parcimonieuses, tout en s'assurant d'être agréable à boire à grande lampées; elle aussi est sous le cap des 4% d'alcool, comme le veut le style (Mild Ale). Finalement, le Stout Écossais est serti de belles notes d'avoine dans un corps rondelet, douillet. La gazéification faite d'un mélange d'azote et de gaz carbonique est bien agencée aux malts et leurs sucres résiduels, laissant amplement d'espace en bouche pour que ces céréales s'y établissent longuement.
Le menu de bières régulières étant établi, Steven nous promet de travailler sous peu sur des projets spéciaux. Certains seront de longue haleine, comme une recréation authentique de l'Imperial Stout original de Barclay Perkins (recette de 1859). Le brassin test est aujourd'hui vieux de 18 mois; il est délectable, mais il vient tout récemment d'atteindre un certain équilibre, selon son brasseur. Ce carnet de recettes historiques à lui seul risque d'ébranler le monde brassicole artisanal québécois. Sachant que toutes les bières coulant des pompes d'Albion sont déjà impeccables, nous devons admettre être infiniment curieux des périples dans le temps que cette nouvelle brasserie artisanale de Joliette nous fera vivre. Mais toute bonne chose en son temps. De toute façon, avec une si bonne Bitter, nous serons armés pour patienter longuement.