4 mars 2013

De bière et de loterie

 
J’écris ce texte le 4 mars 2013. J’aurais pu l’écrire le 3 mars, mais voyez-vous, le 4 mars est la date limite pour participer à la loterie des « œuvres de collection » d’une de nos brasseries favorites, soit la vaillante Hill Farmstead du Vermont. Et puisque Les Coureurs des Boires sont tellement lus, tellement influents, capables en un coup de plume de vous faire rediriger vos REER vers la nouvelle bière de l’heure, nous avons cru bon maximiser nos chances de gagner la loterie en ne vous indiquant PAS à l’avance que loterie il y avait. Pas qu’on ne vous aime pas, comprenons-nous bien, mais plutôt qu’on s’aime encore plus.

Qu’avez-vous donc manqué? Au cours des derniers jours, Hill Farmstead offrait à ses amateurs les plus fervents de participer à une loterie dont la victoire coûtait 350$. Accessoirement, le déboursé de ces 350$ donne droit à une douzaine de bouteilles d’éditions limitées de Hill Farmstead ainsi qu’à quelques accessoires de luxe afférents, par exemple un kit de verres de dégustation.

Pour répondre à votre question, oui, ça fait cher du millilitre, surtout que des douze bouteilles, toutes ne contiennent pas nécessairement 750 ml. Est-ce exagéré? Oui, mais non. Cette petite brasserie vermontoise que nous vous avons présenté avant qu’elle ne soit cool rafle présentement les grands honneurs. Dominant les palmarès des RateBeer et BeerAdvocate, Hill Farmstead attire des dizaines d’amateurs américains parcourent des centaines de kilomètres pour se procurer quelques bouteilles à chaque fin de semaine. La demande est plus que là pour rencontrer une offre somme toute limitée. Mieux, pour écouler sa production, Hill Farmstead n’a pratiquement aucune distribution à effectuer, pouvant ainsi contrôler au maximum la fraîcheur et la qualité de ses produits.

La brasserie a présenté son programme de loterie comme une faveur destinée à ces amateurs devant parcourir des centaines de kilomètres pour se procurer les brassins spéciaux dont les bières s’écoulent souvent en une journée malgré la localisation on ne peut plus perdue au nord du Vermont, loin des Burlington, Montréal et Sherbrooke. Hill Farmstead offre de stocker les douze bières pour les gagnants, leur permettant ainsi d’accéder aux offrandes les plus rares sans parcourir à répétition des centaines de kilomètres. Les économies en essence peuvent évidemment être substantielles.

 

Comment interpréter un tel phénomène? Une brasserie âgée d’à peine deux ans, qui parvient à écouler presque toute sa production à ses portes, à des centaines de kilomètres des centres urbains du nord-est de l’Amérique. Et qui de surcroît, ose offrir ses produits en loterie, à des prix de prime abord prohibitifs. Sommes-nous tranquillement en train d’assister à la modernisation du monde de la bière, lequel, pour ses produits de luxe, ressemble de plus en plus au monde du vin? Probablement. La formule devrait-elle être appliquée par des brasseurs québécois talentueux et qui ne parviennent pas à répondre à la demande, pensons aux brassins spéciaux du Trou du Diable, notamment, du mois avant leur agrandissement? À eux de juger. Une chose est sûre, en procédant par une loterie, dont le nombre de participants surpasse probablement massivement le nombre de désirants, Hill Farmstead fait une belle faveur aux amateurs. Une faveur dispendieuse, certes, mais une faveur néanmoins. Pour ma part, le régime d’épargne-études du gamin étant déjà renfloué pour l’année, je peine à trouver meilleure utilisation de mes bidous que pour encourager une brasserie qui produit des bières qui, presque immanquablement, parviennent à m’exciter comme si c’était ma première fois.

Ces trop rarissimes merveilles méritent bien un effort particulier. À quand pareils clubs « élitistes » au Québec; le phénomène surviendra sans doute plus tôt que tard, au moins, nous l’aurons vu venir et aurons eu le temps d’établir notre position sur le sujet. Et vous, dans quel camp vous trouverez-vous? Celui de la résistance, accordant avec régularité une importance capitale au rapport qualité/prix ou celui des émotifs, capables de vous laisser bercer par l’appel de la demande excessive? Il est présentement 23h; les gagnants devaient être avisés de leur chance avant la fin de la journée. Il semble que ce ne sera pas notre tour…

4 commentaires:

Jean-Luc a dit…

Je suis prêt à payer le même prix pour une bouteille de vin qu'une bouteille de bière. J'achète régulièrement des vins à 12-15-20-25$ et quelques fois en haut de ça. Même principe pour la bière d'exception.. comme le coffret de DDC sortie voilà quelques jours.. pour la 3M avec du citra, pour les bières du TDC.. aucun problème à payer si l'expérience est là.

Pour avoir visité à plusieurs reprises de Hill Farmstead, c'est de la magie en bouteille.

Je payerais chers pour avoir le même type d'event de la microbrasserie AleSmith (Best IPA / Stout EVER).

Pier-Luc a dit…

Ne désespérer pas chers Coureurs des Boires, l'annonce des gagnants a été reporté à aujourd'hui 5 mars. Par contre, à plus de 1000 entrants et 50 élus, les chances restent bien minces.

Je crois que ça pourrait venir au Québec, mais seulement dans plusieurs années et pas d'une façon aussi impressionnante. La densité des amateur de bières n'est pas comparable à celle des États-Unis. Il y a même des gens de la Californie qui se sont inscrits.

De plus, Hill Farmstead est vraiment loin des centres urbains ce qui n'est pas le cas de nos brasseries québécoises.

La seule brasserie qui n'arrivait pas à fournir la demande (au point d'avoir de la difficulté à obtenir une seule bouteille) était le Trou du diable. Avec leur expansion, ce sera désormais plus simple de s'en procurer. Aussi, il ne sortent pas autant de bières différentes que les brasseries qui procèdent par "reserve society" (Bruery, Hill Farmstead, bientôt Cigar city).

Donc oui je crois que c'est une tendance qui va s'accentuer, mais ce sera très long au Québec.

David Lévesque Gendron a dit…

Jean-Luc et Pierre-Luc: belles analyses et opinions très respectables. Seulement, vous sentez-vous parfois un peu manipulés par une rareté un tant soit peu artificielle? OK, les bières vieillies en barriques exigent beaucoup d'espace de stockage et occupe cuves et barriques longtemps. N'empêche, ce ne sont pas toutes les bières dites d'exception qui prennent des mois, voire des années à atteindre leur maturité. Et les ingrédients de ces bières restent une commodité; outre la capacité des cuves, rien ne justifie que leur disponibilité soit si sporadique.

J'adhère volontiers à la théorie du relativement faible bassin de consommateurs au Québec, mais de plus en plus, la demande pour les brassins spéciaux québécois viendra justement des États-Unis et de leur important bassin d'amateurs. Devons-nous avoir peur?

Pier-Luc a dit…

Je crois qu'il y a en effet de la manipulation au niveau de la rareté et qu'on utilise de plus en plus le marketing pour y gonfler les prix. Ça vient souvent avec une plus grande maturité du marché.

Cependant, les rapports qualité-prix et les brassins spéciaux restent deux segments de marchés plutôt distincts.

En ce sens, c'est parce qu'il y a une demande intéressante prète à payer un prix élevé qu'il y a de plus en plus de brassins spéciaux. Au consommateur à distinguer ceux qui en valent la peine.

Heureusement, cette tendance ne fait pas augmenter le prix de la première catégorie et ces bières ne sont pas moins bonnes qu'avant. Au contraire, même. Des brasseries comme Dieu du Ciel! sortent de plus en plus de produits pour le même prix qu'autrefois.

Reste que l'escalade des prix pour les bìères rares est tout de même inquiétante et devrait se prolonger sur une longue période, mais à un rythme plus modéré.