Tout
brasseur québécois sait que le taux d’alcool d’une bière brassée ou vendue en province ne peut
dépasser 11,9% sans coûts supplémentaires. C'est la loi. Si un brasseur décide d'outrepasser ce règlement
pour ce que le gouvernement considère comme étant de la 'bière', il se voit
taxer au même titre qu'un distillat. Pire que ça, sa bière est légalement considérée
comme un 'distillat d’imitation'. Assez insultant comme terminologie lorsqu'on
travaille le grain et la fermentation afin d'obtenir une bière d'exception au
même titre que le reste de sa gamme.
La tranchante Mikkeller Black, du Danemark, titre 17,5% d'alcool
Photographie: David Gingras
À
cause de cela, très peu de brasseurs québécois s'aventurent dans les bières
chaleureuses qui ont fait la renommée des Danois Mikkeller et des Écossais
Brewdog, pour ne nommer que ceux-là. Le Boquébière avait tenté l'expérience en produisant des alcools
hybrides. L'Apico, entre hydromel et bière, et l'Acéro, entre liqueur d'érable
et bière, titraient respectivement 16% et 19,2% d'alcool. L'absence de
gazéification et la présence évidente de miel, dans le premier cas, et de sirop
d'érable, dans le deuxième, rendaient la proximité avec les distillats plus
évidente. Mais il reste que Michaël Parent, maître-brasseur du Boquébière à ce
moment, n'a pas laissé une taxe le stopper dans l'exercice de son métier et de
sa créativité.
Combien peut coûter cette taxe supplémentaire? À guise d'exemple, pour un volume de production de 11 hectolitres (une cuve), la formule suivante doit être appliquée:
1100L x 13,78% = 151,58 litres d'alcool absolu x 11,696$ = 1772,87$, soit environ 0,55$ la bouteille.
De plus, la brasserie doit tenir un inventaire perpétuel. La taxe doit être payée dès que le produit sort de l'inventaire, qu'il soit vendu ou non. De plus, la
brasserie doit répondre à des règles de "sécurité d'entreposage des
spiritueux", différentes de celles pour la bière. Et on ne parle même pas des
formulaires supplémentaires à remplir...
Cet automne, ce sera au
tour de Jean-Sébastien
Bernier, maître-brasseur d'À l'Abri de la Tempête, aux Iles-de-la-Madeleine, de
jeter un pavé dans la mare. Pourquoi le fera-t-il? Il nous a
répondu candidement:
"Depuis toujours,
nous nous appliquons à faire les meilleurs produits, à les rendre originaux par
l'utilisation d'aromates locaux. Nous aimons créer des produits à la signature
unique qui vivent par eux-mêmes sans avoir à être chapeautés ou encadrés par un
style. Il existe un monde de saveurs à explorer en haut de 11,9% et ce
n'est pas une loi ridicule qui va nous empêcher de poursuivre notre recherche
de goût et d'authenticité."
Les deux bières qui
feront sans doute parler d'elles sont la Palabre du Moissonneur et la Palabre de la Corne
de Glace. Toutes deux titrent 14% d'alcool. Elles sont d'ailleurs déjà disponibles aux Iles-de-la-Madeleine. La première se veut une 'Imperial
Stout' au café; un café très particulier même, torréfié aux îles et trempé dans de
l'eau de mer. La deuxième est une version gelée de la sublime Corne de Brume,
sa Scotch Ale. Une véritable 'bière de glace', fermentée au-delà de la moyenne
de ce type de bière afin de ne pas envahir le palais de sucres résiduels.
Pourquoi forcer Jean-Sébastien à arrêter la fermentation de sa création à 11,9%
s'il la juge trop sucrée à ce moment-là? Ce n'est pas une bureaucratie étouffante qui l'arrêtera.
N'est-ce pas rafraîchissant de repousser des frontières imposées par autrui?
Loin de nous l'idée de vous convaincre qu'une bière de 12% et plus a davantage de valeur gustative qu'une bière liquoreuse titrant 9%, 10% ou 11% d'alcool. Le jeu des saveurs, des sucres résiduels et de la gazéification peut être tout aussi captivant à n'importe quel taux d'alcool. Cependant, pourquoi donc se limiter à un nombre aussi arbitraire que 11,9% si un brasseur juge que sa création s'exprimerait mieux à quelques points d'alcool de plus?
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