31 oct. 2011

Des bocks, des bières sauvages et des Double IPAs... allemandes!

Les Importations Privées Bièropholie récidivent avec une surprise de taille… Des bières allemandes !! Puisque c’est la saison des Bocks qui commence à poindre à l’horizon - et que ces lagers charnues pourront survivre aux délais de la SAQ contrairement aux lagers de soif plus fragiles - nous aurons maintenant accès à une aguichante sélection pour faire taire ceux qui croient qu’il n’y a que de la Pils en terre germanique. Voici nos habituels commentaires afin d'éclairer vos choix:


Spezial Rauchbier Bock : Une lager fumée bien dodue, mettant en vedette les malts Munich autant que le malt d’orge fumé au bois de hêtre. Un des chefs d’œuvres de la brasserie Spezial, de Bamberg.

Fischer Bockbier : Cette minuscule brasserie de Greuth, dans la campagne au sud de Bamberg, nous offre leur saisonnière d’hiver, une Dunkler Bock. Si vous aimez la Bockbier de l’Amère à Boire, par exemple, celle-ci risque de vous séduire.

Andechser Bergbock Hell : Une Heller Bock, ou si vous préférez, une version dorée et forte de la lager phare du monastère d’Andechs, à l’ouest de Munich. Sophistication et richesse sont au rendez-vous.



Andechser Doppelbock : Une des rares Doppelbocks bavaroises à ne pas sombrer dans les sucres résiduels. Ici, les fruits confits s’adjoignent aux malts légèrement torréfiés, créant un exemple des plus complexes. Un chef d'oeuvre.

Hümmel Bräu Raucherator Doppelbock : Un de nos premiers coups de cœur de la Franconie. À tous les hivers, la petite brasserie Hümmel, du village de Merkendorf, fait une Doppelbock… fumée ! Jamais excessive, mais tout de même très généreuse d’elle-même, les saveurs de cette Doppelbock savent rallier les amateurs de bières fumées et ceux qui aiment la sagesse des malts Munich sveltes.

Braustelle Trippelbock : Une étrange créature, cette Heller Bock plus forte que la moyenne. Des malts miellés gargantuesques se fondent en une finale très fruitée et acidulée. Comme si cela ne suffisait pas, cette brasserie hèle de Cologne, là où toutes les brasseries s’affairent à brasser de la Kölsch, et que de la Kölsch. « Twilight Zone » en allemand, ça se dit comment ?

Opus Pontifikator, Opus Zwanzentinus et Opus Weltschmerz : Vous n’avez jamais entendu parler de ces bières ? Nous non plus ! C’est tout simplement parce que ces produits du brasseur de Braustelle, à Cologne, n’ont toujours pas vu le jour. Nous espérons que ces trois bières soient prêtes à temps pour notre commande, mais nous ne pouvons être garants de leur grande qualité puisque personne n’y a goûté à ce jour. La première est une Doppelbock vieillie en fût de chêne, la deuxième est une Weizenbock aux fruits(!?) et la troisième est une version glacée (Eisbock) de la deuxième. Intriguant, n’est-ce pas ?

Et ce n’est pas tout ! Imaginez-vous donc qu’il y existe certains brasseurs en Allemagne qui font fi de leurs traditions brassicoles et qui osent concocter des styles anglais et, surtout, américains. Oui, oui, des Double IPAs et Imperial Stouts allemandes ! 

Hopfenstopfer Citra Strong Ale : Des fruits tropicaux explosifs batifolant dans un corps longiligne, réchauffé par l’alcool. Un bel exemple de ce que le cultivar Citra peut offrir.



Hopfenstopfer Chinook Strong Ale : Croyez-le ou non, cette brasserie du Baden-Württemberg a brassé… une Imperial Black IPA !! Elle aussi est plutôt bien construite, présentant toutes les saveurs résineuses que l’on connaît au cultivar Chinook, aux côtés de chaleur d’alcool.

Hopfenstopfer Amarillo Strong Ale : Leur troisième bière d’inspiration américaine est une Double IPA dans les règles de l’art. Malts blonds construisant quelques saveurs miellées, capables de supporter les facettes résineuses et fruitées du cultivar Amarillo.

FritzAle Imperial IPA : Un autre brasseur allemand qui se lance dans l’aventure des houblons américains. Non mais, c’est à rien n’y comprendre. L’embouteillage de cette Double IPA est tout récent, alors nous n’avons toujours pas dégusté cette création. Si on se fie à la rigueur inhérente aux allemands, elle devrait être dans les règles de l’art.

FritzAle Imperial Stout : Une des premières Imperial Stouts allemandes. Toute jeune elle aussi, alors peu de gens l'ont dégustée. Nous ne pouvons rajouter nos commentaires puisque cette gamme de produit n’était toujours pas embouteillée à notre dernière visite au pays, l’été dernier.

FritzAle Barley Wine : Décidément, ce brasseur fait tout pour s’attirer les foudres des clients réguliers s’attendant à des lagers faciles à boire. Nous lui souhaitons beaucoup de succès… et de courage afin de   convertir certains buveurs de sa contrée.

Uerige Doppelsticke : Ah, une des plus grandes maisons de la bière en Allemagne cette Uerige ! Voici leur bière forte, créée pour le marché américain il y a quelques années. Si vous aimez les vins d’orge, cette bière vous offrira toutes les notes caramélisées que vous adorez, toujours équilibrées par des saveurs de houblons herbacés. Un Barley Wine, mais à partir d’ingrédients allemands? Pourquoi pas !

Vous en redemandez ? Ce que vous êtes gourmands ! Puisque Importations Privées Bièropholie, comme vous, aiment friser la décadence, voici un troisième volet à cette commande toute germanique. Cette fois-ci, on navigue dans les fermentations sauvages. Berliner Weisses, Lichtenhainers (version fumée de la Berliner Weisse), Porter avec brettanomyces et Gose sont au menu. Pour l’amateur d’acidité, de sècheresse et de saveurs animales… Amoureux de lambics belges aussi, voici des styles allemands qui s’apparentent à vos chères bières sûres du Payottenland :

Freigeist Abraxas : Ce brasseur a décidé de ressusciter un style éteint : la Lichtenhainer. Ce type de bière est en quelque sorte un cousin de la Berliner Weisse ; sauf qu’elle est conçue avec une généreuse portion de malts fumés. Sur papier, l’expérience peut paraître étrange. En bouche… aussi. Imaginez une limonade bien acide, très gazéifiée, avec des effluves de fumée ici et là. Vraiment. 



Freigeist Abraxxxas : Alors que la Abraxas avec un « x » titre 3,8% d’alcool, cette version « xxx » dépasse les 6%. Elle offre une palette de saveurs aussi particulière, sauf qu’elle se prête moins aux grandes soifs. Plus intense, elle évoque plus les Rauchbiers, mais elle se conclut tout de même avec des notes acidulées.

Freigeist Deutscher Porter : Un autre style disparu qui renait de ses cendres grâce à Freigeist. Une bière noire de l’ancienne Allemagne de l’est, brassée avec une touche de sel et fermentée avec des levures sauvages… Vous voulez tester les limites de vos papilles ? Cette bière risque de vous faire voir de toutes les couleurs. Nous avons accès à trois versions différentes : la version « régulière » (toussetousse), la version mûrie en barriques de bois ayant contenu du brandy de prunes, et la version vieillie en barriques de bois ayant contenu du brandy de cerises.

Bayerischer Bahnhof Gose : Un des styles les plus étranges de la planète-bière : la Gose. La base est une bière de blé ressemblant à la Berliner Weisse, mais bénéficiant d’un ajout de coriandre et de sel(!). Le résultat est très rafraichissant, dû à la sècheresse, l’effervescence et la finale acidulée. Un beau produit pour découvrir ce style en voie d'extinction.

Bayerischer Berliner Weisse : Cette même brasserie tente de raviver un autre style presque moribond : la Berliner Weisse. Nous avons accès à deux versions de la même bière. Une plus traditionnelle, qui n’a pas recourt à des levures sauvages rajoutées, et une version dont la fermentation est complétée à l’aide de brettanomyces. Une superbe façon de s’éduquer sur les effets des lactobacilles et des levures sauvages de type brettanomyces.

Bayerischer Leipziger Porticus : Un autre exemple de ce vieux type de Porter fort brassé jadis en Allemagne de l’est. L’addition de brettanomyces peut paraître surprenant suite aux saveurs rôties, surtout qu’une finale acidulée nettoie le tout en bouche.

Bayerischer Gose Doppelbock : Une toute nouvelle version forte de la Gose traditionnelle. Peu d’allemands y ont goûté encore. Nous aurons la chance de le faire avant la grande majorité d’entre eux !

Talschänke Wollnitzer Weissbier : Une autre des rares Berliner Weisses à être encore brassée régulièrement en Allemagne. Cette toute petite brasserie loin de tout centre urbain produit cette sublime bière de blé, peut-être plus satisfaisante que n’importe quelle autre du style produite en Allemagne (quoiqu’il y en a très peu de nos jours). Ne vous laissez pas avoir par le nom « Weissbier ». Elle est bel et bien blanche, mais c’est une Berliner Weisse acide et hyper rafraichissante.


Dollnitzer Ritterguts Gose : Voici un des derniers exemples de la Gose toujours brassé en Allemagne. Celui-ci est peut-être plus savoureux que la version de Bayerischer Bahnhof, tout en demeurant rafraichissant et intriguant. Ce style, comme tous les autres dans cette troisième section de la commande d’Importations Privées Bièropholie, est une merveilleuse façon de s’ouvrir l’esprit… tout en faisant voyager nos papilles vers une époque où la fermentation n’était pas entièrement comprise des brasseurs.

Prost!

25 oct. 2011

Les joyaux de la campagne franconienne - Forchheim


Forchheim est un des arrêts majeurs du train menant de Bamberg à Nuremberg. À environ 30 minutes de Bamberg, la petite ville devient un choix facile lors d’un premier séjour dans la région. En plus d’être munie d’un centre historique charmant, Forchheim compte sur 4 brasseries artisanales (Greif, Neder, Hebendanz et Eichhorn) pour ses 40000 habitants. Plusieurs banlieues québécoises devraient en prendre note… Voici donc nos coups de cœur de cette ville et de ses environs qui, vous l’aurez deviné, regorgent de lagers de haut calibre.

Croyez-le ou non, il y a 3 brouepubs dans cette photo

Brauerei Neder

Notre première visite ici, il y a plus de 5 ans, fût un choc. Du moins, c’est ce que raconte ma conjointe… Premièrement, l’endroit était bondé d’hommes. À part la serveuse risiblement prise dans les modes des années 80, la clientèle du pub semblait tout droit sortie d’un film Western mettant en vedette des hors-la-loi d’une hygiène douteuse. La fumée, aujourd’hui disparue due aux nouvelles lois anti-tabac en vigueur dans la région, flottait au-dessus de nos têtes et les regards cernés, aux sourires trop souvent édentés, nous fixaient comme si nous venions de nous attabler à une réunion secrète d’anciens braqueurs de diligence. Bref, peu de touristes fréquentent Brauerei Neder… Somme toute, le brasseur de l’endroit maitrise son art à la perfection. Sa Kellerbier est juteuse et bien houblonnée et sa Schwarze Anna ravit de ses saveurs rôties dans un corps svelte.

Brauerei Hebendanz

Il ne suffit que d’apercevoir une seule fois le brasseur moustachu dans sa minuscule voiturette de livraison afin de comprendre l’essence de cette brasserie sise en plein centre de Forchheim. Alors que la majorité des brasseurs de la région misent sur un respect des traditions et des ingrédients locaux, le propriétaire excentrique de cette Brauerei Hebendanz préfère inviter les gens de caractère dans son brouepub. Sa Festbier ne ressemble d’ailleurs à aucune autre bière disponible en Allemagne (saveurs de caramel brûlé et de pain toasté dans un corps digne d’une Dunkler Bock). Bien que sa Vollbier blonde, celle que tout le monde boit, n’ait rien de mémorable et que la cuisine du pub manque un tant soit peu de verve, une personnalité indéniable imprègne les lieux. Entouré de rats de taverne, un peu comme Brauerei Neder à quelques pas de là, on se sent témoins d’une autre époque et ce, autant socialement qu'esthétiquement. Messieurs, ne cherchez pas les urinoirs dans les toilettes des hommes. Visez plutôt… ses murs. Une rigole au plancher fera le reste du travail…

Nikl-Bräu

À Pretzfeld, village en banlieue de Forchheim, une toute nouvelle brasserie artisanale fait pignon sur rue, à la grande joie (et surprise) de tous dans la région. Il y a bel et bien 300 brasseries en Franconie, nombre des plus impressionnants pour une région des mêmes dimensions que la grande région métropolitaine de Montréal, mais il faut savoir que ce nombre est en baisse constante depuis quelques décennies. Qui plus est, cette Nikl-Bräu conçoit des lagers non filtrées de haut niveau, en plus d’offrir des bières saisonnières alléchantes, telle la Rauch Heller Bock qui est servie à l'automne. À noter que les schnitzels de la maison sont facilement parmi les meilleurs que nous ayons eu la chance de goûter. Amateurs d’alcools forts, sachez aussi qu’une micro-distillerie œuvre de l’autre côté de la rue. Plusieurs kirschs, entres autres, y sont fabriqués.

La "Kellerwald"

Tout juste en périphérie du centre de Forchheim, cette colline boisée est un haut-lieu de la lager franconienne. La « forêt des kellers » propose exactement ce que son nom suggère. Une panoplie de kellers, ces petites cabanes entourées de tables de pique-nique ancrées sur une butte de terre sous laquelle on entrepose la bière au frais, se succèdent dans toutes les directions. Chaque keller est mandaté par une brasserie afin de servir ses bières. Certaines brasseries, comme Wölfshöher, en possèdent plus qu’un. En tout cas, l’été particulièrement, il est possible de visiter les kellers de 10 brasseries différentes sans marcher plus d’un kilomètre dans les bois. C’est ici aussi qu’a lieu le Annafest ; une fête foraine qui ressemble grandement à ce que l’Oktoberfest était avant de devenir la gigantesque foire commerciale qu’elle est maintenant. Nous vous en parlions dans une édition précédente du journal Bières et Plaisirs.


La semaine prochaine, nous nous dirigeons vers Munich afin de conclure ce tour de l'Allemagne brassicole. Snif!

18 oct. 2011

Une India Pale Ale historique à la brasserie Albion, de Joliette

Photo gracieuseté de la brasserie Albion

Décidément, le Québec foisonne de brasseurs inspirés. Vous voulez un autre exemple? D'ici quelques semaines, à Joliette, une E.I.P.A. 1839 fera son apparition à la brasserie Albion.  C'est suite à la lecture du bouquin de Pete Brown "Hops and Glory", que Steven Bussières, maître-brasseur du Albion, a décidé de recréer une India Pale Ale de 1839, une bière telle que les anglais envoyaient à leurs compatriotes stationnés en Inde. Aucune autre brasserie sur la planète a, à ce jour, soumis une bière à de telles conditions dans le but de comprendre ce que les buveurs de l'époque pouvait déguster. 

Rigoureux à toutes les étapes de son aventure, Steven a su aller au-delà de la recette originale du 19e siècle (que vous pouvez admirer ci-dessous) afin que l'expérience soit des plus pédagogiques. Puisque ces bières étaient mises sur des bateaux pendant près de 4 mois avant d'arriver à bon port et d'être bues goulûment, il a dû aussi, par souci scientifique, recréer les conditions dans lesquelles ces barils séjournaient. Donc, la température de conditionnement, comme celle sur les bateaux en direction de l'Inde, a oscillé entre 30 et 45 degrés Celsius pendant 4 mois. De plus, un système a été confectionné dans le but d'imiter les mouvements constants d'un bateau en mer; parfois doux et parfois violents.

La recette originale de cette India Pale Ale de 1839


Les barils utilisés pour la bière étaient en chêne; des barils desquels le plus de tannins possibles avaient été enlevés au préalable. Après ce périple mythique, la E.I.P.A. 1839 a reposé une semaine au frais, pour ensuite être embouteillée et refermentée en bouteille. 

Deux autres versions de la même bière ont aussi été conçues en même temps, rehaussant l'aspect pédagogique. Une des deux a subi les mêmes conditions extrêmes, mais à partir d'un cask en métal. Celle-ci sera servie au bar directement du baril, par une pompe manuelle. La troisième et dernière version de cette bière n'aura pas vécu les mêmes soubresauts de conditionnement. Celle-ci sera servie en fût standard et servira donc de bière "témoin". 

Le résultat? Les chanceux qui pourront se déplacer à Joliette pour le dévoilement de cette expérience le 26 novembre sauront en témoigner. Pour l'instant, Steven nous a confié que la version embouteillée, après le traitement houleux, avait fermenté davantage dans le baril de chêne. Nous goûterons donc à une version plus sèche et peut-être même sauvage de cette IPA. Il ne faut pas s'attendre à un arôme houblonné explosif, même si une quantité astronomique de houblons en cônes a été utilisée. Vos humbles serviteurs ont d'ailleurs bien hâte de percevoir le niveau d'oxydation présent dans la version d'origine et surtout de faire la dégustation comparative. Un gros merci à Steven et son équipe de contribuer ainsi à l'éducation de l'amateur de bières québécois!






12 oct. 2011

Les joyaux de la campagne franconienne - 3e partie



Une telle concentration de brasseries artisanales de qualité n’existe nulle part ailleurs sur la planète. Si vous avez manqué les deux premières parties de notre survol de la campagne franconienne, cette région du nord de la Bavière garnie de non moins de 300 brasseries, vous pouvez les lire ici et ici. Le billet actuel se concentre sur les brasseries aux abords du village d'Aufsess, un fier bled qui fait partie du livre des records Guinness. Bien qu’elle ait profité d’une entourloupette législative pour paraitre dans ce livre (les fusions municipales sont importantes ici également...), cette bourgade peut se vanter d'avoir non moins de 4(!) brasseries afin d’abreuver ces quelques 4000 citoyens.  Voici donc nos coups de cœur de cette région environnante qui, bien sûr, comporte bien plus que 4 brasseries artisanales.

Kathi-Bräu, à Heckenhof, tout juste à l’extérieur du centre d’Aufsess


Ce repaire grouille de motards lorsque Mère Nature est clémente. Phénomène inexplicable, puisque la petite maison fleurie et son emplacement au fin fond de la campagne franconienne ressemblent beaucoup plus à une carte postale pour retraite du « bel âge ».  La clé du succès ici réside peut-être dans la bière maison, brassée jusqu’à tout récemment dans un équipement centenaire avec courroies en cuir et cuves chauffées au bois. La lager noire de Kathi-Bräu est houblonnée comme peu de bières le sont en Allemagne; un nord-américain n’oserait jamais utiliser le mot « intense » afin de la décrire, mais les allemands la trouvent tout de même très racée. Une lager rustique qui ne se gêne pas pour exhiber ses forces...

Brauerei Reichold, à Hochstahl, aussi tout juste à l’extérieur du centre d’Aufsess


Des effluves de purin rejoignent fréquemment les tables de pique-nique et les véhicules récréatifs stationnés derrière la maison de cette brasserie familiale donnant sur l’unique rang du village. Les visiteurs ici semblent moins imposants que la foule ayant adopté Kathi-Bräu et la bière reflète cette recherche de tranquillité. La Zwickl rafraichit de sa délicatesse, étalant des notes toastées dans un corps presque sec équilibré par une finale herbacée. La bière phare de la maison, la Reichold Lager, répète la même formule, rajoutant quelques saveurs de houblon poivré dans un corps des plus douillets qui semble miser un peu plus sur des malts Pilsener. On s'imagine facilement en train d'installer un hamac sur les lieux.

Held-Bräu, à Oberrailsfeld


Une autre maison familiale possédant un petit restaurant et un pub au premier étage, en plein centre d’un village des plus paisibles. Le chat de la famille vous passera entre les jambes dès votre première gorgée ; c’est le seul service aux tables dont vous bénéficierez l’été. C'est qu'il faut aller chercher sa bière à l’intérieur où la maman lave les verres et soutirent les pintes derrière son petit comptoir. La Helles ici est le théâtre d’une symbiose parfaite entre malts Pilseners savoureux, houblons épicés, sucres résiduels maigres et gazéification douillette. Elle donne sérieusement le goût d’aller se recueillir dans la chapelle faisant face à la brasserie. La Dunkel jouit d'autant de raffinement, partageant des saveurs de malts rôtis et de fumée sur des notes fruitées et des sucres toastés. Un des bijoux les plus séduisants de toute la campagne franconienne cette Held-Bräu.

Le four antique de la maison Held 

Si vous avez lu les articles précédents sur le sujet, vous vous doutez sûrement qu’il y a plusieurs autres brasseries aux alentours qui méritent aussi d’être visitées. Effectivement, à quelques kilomètres de là, vous trouverez la Brauerei Krug à Breitenlesau, et ses lagers brunes mémorables, la Brauerei Stadter à Sachsendorf, faisant partie de l’arrondissement d’Aufsess et contribuant donc à ce record Guinness, la Brauerei Hetzel à Waischenfeld et son sombre bar peu retouché depuis le 19e siècle, la Brauerei Rothenbach, à Aufsess même, et sa cuisine saisonnière riche, et la Brauerei Schroll, à Nankendorf. Encore une fois, le vélo est presque trop rapide pour se rendre d'une brasserie à une autre...


La semaine prochaine, on revient vers l’ouest, direction Forchheim, petite ville franconienne de 40000 habitants, avec 4 brasseries et non moins de 19 kellers représentant plus de 10 brasseries!

7 oct. 2011

La Hildegard - Rouge des Cantons, du Boquébière, à Sherbrooke



Sherbrooke s’établit tranquillement mais sûrement comme ville brassicole de choix dans le nord-est de l’Amérique. En quelques années seulement, le Boquébière et le Siboire ont su alimenter leur région en produits de plus en plus inspirés, et inspirants. Nous avons primé le Siboire d’une fiche grand cru l’hiver dernier. Cette fois-ci, Boquébière, c’est à ton tour. Cette ale sauvage, la Hildegard - Rouge des Cantons, création de Michaël Parent, mérite définitivement sa place dans la panthéon de la bière québécoise. Nous espérons qu’elle garnisse nos tablettes régulièrement et ce, pour plusieurs années à venir.

Style : L’inspiration de cette bière est une Rouge des Flandres, ces bières belges vineuses, fruitées et acidulées qui sont malheureusement de plus en plus rare sur la planète-bière. La version du Boquébière est entres autres conçue de malt d’orge québécois, est fermentée avec l’aide de levures sauvages de type brettanomyces et est vieillie dans des barriques de chêne ayant préalablement contenu un vin rouge, aussi québécois. Vous comprendrez donc que c’est une interprétation libre de ce style d’origine belge.

Disponibilité : Le deuxième brassin se retrouve maintenant sur les tablettes ! Les plus perspicaces d’entres vous sauront aussi où trouver des bouteilles du tout premier brassin… vous pourrez les identifier au numéro de lot 1108-042. Les levures sauvages aidant grandement à la survie d’une bière sur de longues périodes de temps, vous aurez entre vos mains une bière parfaite pour le cellier, peu importe le brassin que vous trouverez.

Le coup d’œil : Une couronne de mousse décore la robe rouge voilée.

Le parfum : Un bouquet évocateur confirme rapidement les liens de ce style avec le vin rouge. Le fruité est généreux, les tannins sont habilement suggérés et la fermentation mixte rajoute des accents de cuir. Envoûtant et, surtout, déroutant pour ceux qui n’ont jamais eu la chance de déguster une Rouge des Flandres.

En bouche : Les levures sauvages dominent, étalant des saveurs d’aiguilles de conifères et de poussière. Ce profil de saveurs est peut-être plus linéaire que l’arôme, mais il est tout aussi séduisant. Le fruité est multiple, passant allègrement de canneberges à raisins noirs.

La finale : La sècheresse (ces levures sauvages ont tendance à s’empiffrer de tous les sucres résiduels sur leur passage) et les angles acidulés s’assurent que l’on veuille récidiver rapidement. De plus, le niveau d’acidité est plus bas que la moyenne du style, ce qui rend la Rouge des Cantons plus facile à boire. Des touches de verdure apparaissent ici et là, résultat de l’union idiosyncrasique du malt d’orge québécois et du baril de chêne.

Accords : D'une salade fraîche du jardin agrémentée d'une touche de vinaigre balsamique à une pièce de viande rouge saignante, cette Rouge des Cantons saura rehausser plusieurs plats déjà expressifs.

Pourquoi est-ce un grand cru? : À part le côté créatif de cette recette, c’est la maitrise des nombreuses facettes de son exécution qui peut étonner. Avec de telles variables difficiles à contrôler (séjour en barils de chêne et levures sauvages), il peut être ardu d’obtenir une bière juste et équilibrée. La Rouge des Cantons nous propose aussi une des plus belles utilisations du malt d’orge québécois que nous ayons eu la chance de déguster. L’harmonie des ingrédients est enivrante.

Si vous avez aimé, essayez aussi : Très peu de brasseries ont tenté l’expérience Rouge des Flandres au Québec à ce jour (quoiqu’à notre connaissance, quatre brasseries de renom ont un projet dans ce sens déjà amorcé… ;D). Pour l’instant, tentez de dénicher l’étalon du style, la Rodenbach Grand Cru (Belgique) ou des exemples presqu’aussi notoires tels la Duchesse de Bourgogne (Belgique, SAQ), ou La Folie (Colorado, É.U.).

29 sept. 2011

Les bières de Thornbridge disponibles en importation privée



Tout comme les subtiles bières d’origine germanique ou tchèque, les bières anglaises ont la réputation de n’être que l’ombre d’elles-mêmes en bouteille. Cette réputation met surtout en valeur l’extraordinaire fraîcheur et le séduisant pouvoir aromatique du cask, véhicule de service favori des microbrasseries anglaises. En réalité, le préjugé envers la bouteille anglaise découle souvent d’un contenant inapproprié, une bouteille claire par exemple ou d’une pasteurisation extrême qui dénature le produit, mais encore plus souvent du délai exagéré entre l’embouteillage à la brasserie et la dégustation par le nord-américain. Via Importations Privées Bièropholie, ce délai devrait se limiter à quelques mois, ce qui se compare vraisemblablement au délai qui avait été subi à l’étonnante palette de bières anglaises qui nous a été présentée lors du dernier Mondial de la Bière. Thornbridge était d’ailleurs l’une des brasseries mises en valeurs. Lors de cet événement, la qualité exceptionnelle de plusieurs bières anglaises, malgré leurs quelques mois d’âge, nous a fait ravaler plusieurs de nos préconçus face aux bières anglaises embouteillées. Certaines se tirent très bien d’affaire.





À défaut d’avoir la chance de savourer une merveilleuse Jaipur en cask (un des grands coups de cœur de l’auteur de ces lignes lors de son dernier séjour en Angleterre où il a sauté de cask en cask durant un mois particulièrement chargé comme en témoignait son tour de taille au retour), on peut se faire une bonne idée du renouveau chez les brasseurs anglais. Thornbridge fut l’une des premières brasseries anglaises très modernes, ne se limitant plus à une gamme de bitters presque identiques, une Mild plus foncée ou un porter/stout rarissime, rarement accompagné d’une bière plus musclée. Thornbridge a sauté à pieds joints dans la réhabilitation de la Golden Ale via des houblons très citriques, laquelle se retrouve partout sur l’île depuis quelques étés. Ce sont même des anciens de Thornbridge qui ont fondé Brewdog, cette brasserie écossaise éclatée qui produit maintenant l’une des gammes les plus extrêmes du monde.

La mise en contexte étant faite, vous attendez sans doute de connaître l’identité des produits auxquels nous aurons accès ? La voici :

Ceux que nous avons goûtés

Wild Swan
Du haut de ses 3,5%, il s’agit bien sûr de la Session Beer de la maison. Une bière pâle qu’un Anglais n’envisagerait jamais de commander dans un format autre que la pinte. Son objectif est clair : rafraîchir et elle le fait admirablement grâce à ses houblons épicés et citronnés, un brin acides, servis sur un corps svelte imposant la grande gorgée. Les fanatiques du projet Éléphant de l’Amère à Boire devrait apprécier.

Kipling
Voici une Pale Ale dite Pacific en raison du caractère exotique de son bouquet où les houblons provoquent l’émergence d’une belle salade de fruit où s’entremêlent litchi, melon miel et fruit de la passion. Clairement, on mise sur les arômes, l’amertume demeurant modérée. Une belle prise pour les amateurs de la Sabotage du Benelux.

Jaipur
Encore une Pale Ale, mais cette fois plus tranchante dans son amertume et sans être lourde, plus riche. Elle atteint un équilibre remarquable entre la franchise des arômes d’agrumes de ses houblons frais et leur élégante, mais poignante amertume, laquelle est bien supportée par une base maltée rappelant la tartine au miel. Une IPA anglaise au penchant très américain.



Saint Petersburg
Les notions d’équilibre prennent le bord chez cette, vous l’aurez deviné par le nom, Imperial Stout. Ici, on vise un public en fin de soirée, qui daigne troquer son digestif seulement contre une offrande aussi liquoreuse. L’alcool, des fruits foncés et les touches chocolatées et expresso des malts rôtis s’étalent dans un tout cohérent et dessert à souhait. Les fervents de l’Impériale Express du Siboire devraient aimer.

Ceux que nous n’avons pas goûtés

Kill your Darlings
Cette lager rousse inspirée par la Vienna, un style habituellement dirigé par des malts agréablement toastés, mise sur un houblon américain, l’Amarillo, qui dégage habituellement des effluves relevés de mandarine et de résine.

Versa
La Versa se veut une Hefeweizen classique, utilisant la levure bien particulière typique de ces bières de blé allemande qui rend le fameux caractère de gomme balloune, de clou de girofle et de banane mûre.

Raven
La plus moderne des Thornbridge, cette Raven est une Black IPA, donc une bière noire puissamment houblonnée et dont les amertumes en provenance du grain rôti et de l’amalgame de six houblons différents résonnent ensemble.

Bracia
Une création aussi rare que spéciale et dispendieuse, la Bracia est une bière forte à l’intersection du Barley Wine et de l’Imperial Stout. Utilisant du miel de châtaigne dans son élaboration, on la dit riche et complexe, à la fois terreuse, chocolatée et toastée.



Après ce tour d’horizon, vous comprenez bien le topo. Thornbridge, à l’image de quelques-uns de ses contemporains anglais auxquels nous n’avons jamais accès, déconstruit les styles classiques, mais en conservant un souci particulier pour le riche héritage brassicole britannique. Nous avons l’occasion de découvrir ce nouveau mouvement. À qui la chance?

25 sept. 2011

Les joyaux de la campagne franconienne - 2e partie


Peu importe dans quelle direction on se dirige en quittant Bamberg, que ce soit en vélo, en voiture, en train ou même à pied, on y croisera des brasseries villageoises. De quoi décourager le plus vaillant des collectionneurs. Question d'exposer davantage l'ahurissante richesse brassicole de cette région du nord de la Bavière (et de vous torturer un tantinet), nous vous présentons un autre minuscule coin de ce paradis rempli de brasseurs de grands crus. 

Dans le dernier article, nous vous avions fait part de nos coups de coeur tout juste au sud-est de la ville protégée par l'UNESCO. Cette fois-ci, on vise un noyau de bourgades  quelques kilomètres à peine au sud-ouest. Les 14 brasseries nommées dans ce billet se retrouvent sur une boucle routière d'une trentaine de kilomètres. Gare aux cyclistes assoiffés: les distances sont trop courtes et les brasseries de qualité trop nombreuses pour que vous vous en sortiez indemnes...

Le Kreuzberg, entre Hallerndorf et Schnaid

Cette colline au beau milieu de champs de moutarde et de verdure dandinante est couronnée de deux kellers de brasseries artisanales différentes puis d’une brasserie à proprement dit. Il suffit de faire une trentaine de pas pour changer de brasserie et de sélection de bières. Le keller de Brauerei Rittmayer, brasserie du village de Hallerndorf en bas de la côte, sert une Rauchbier maison sublime et une Kellerbier superbement houblonnée. Le keller de Brauerei Lieberth, aussi de Hallerndorf, offre une Kellerbier plus douce, toujours d’un baril de bois sous les marronniers. Finalement, la Brauerei Friedel am Kreuzberg offre une panoplie de produits dans une atmosphère contagieuse rappelant les vastes biergartens de Munich. Jeux pour enfants, menu complet de restaurant et plusieurs bières-maison à la fois, toutes méritant une pinte. Décidément, tout ce qu’il manque sur le Kreuzberg, c’est une grange dans laquelle on pourrait faire une sieste. À bien y penser, il y en avait sûrement une derrière la chapelle…



Brauerei Witzgall, à Schlammersdorf

À prime abord, la Brauerei Witzgall ne respire pas la convivialité autant que la brasserie franconienne moyenne. Son salon est sobre et semble appartenir aux locaux qui se demandent pourquoi un étranger a l’audace de pénétrer ces murs décorés il y a 50 ans. La cour extérieure, derrière le salon, est un étroit amas de tables de pique-nique entourées de clôtures et de fûts non remplis. Ici, on n’essaie même pas de plaire. C’est peut-être un bon signe ? La Vollbier, lager blonde servie au fût, est plaisante et désaltérante, sans prétention. 


« Vous avez une autre bière ? », dit le coureur des boires curieux. « Oui. » répond la bonne dame, « mais seulement en bouteille ». « Zwei, bitte » rétorque le coureur d’un accent quasi-passable, sans attentes particulières. Et c’est ainsi, sans artifices, qu'une des meilleures lagers d’Allemagne, la Landbier de Witzgall, nous a été présentée pour la première fois. Des houblons fruités, herbacés et poivrés percent des malts soyeux aux  accents miellés, le tout dans un corps des plus douillets. Une lager au dosage parfait; pas trop intense, mais jamais timide, elle révèle tranquillement, au fil des gorgées et des verres, tout son charme. Tout ça, pour moins d'un euro la pinte. En peu de temps, on décide que les murs défraîchis sont absolument séduisants. 

Löwenbräu, à Buttenheim

On ne parle évidemment pas ici de la Löwenbräu distribuée un peu partout sur la planète-bière, appartenant à la géante InBev. La toute petite Löwenbräu du village de Buttenheim, facilement accessible en train à partir de Bamberg, est beaucoup plus coquette. Et ces bières possèdent bien plus de caractère. La Ungespundetes Lagerbier, bière phare de la maison, est la seule lager disponible au fût dans le petit salon de la brasserie. Les habitués y jouant aux cartes ont adopté son houblon frais et herbacé entouré d'angles minéraux, le tout dans une gazéification douce typique aux Ungespundetes (qui sont gazéifiées un peu comme des bières en cask, pour vous donner une idée). Les bières saisonnières du moment, Pilsner, Vollbier Hell, Weissbier, etc., sont seulement disponibles en bouteille. Prix total pour 3 pintes à Buttenheim, une bue sur place et deux pour rapporter à la maison? 3 euros 50. 3... euros... 50... Pourquoi résister? 

Le salon de la petite Löwenbräu semble fait sur mesure pour un chasseur de grands crus...  

Si vous disposez de quelques jours supplémentaires dans ce secteur, sachez qu’il y a aussi, dans cette boucle d'une trentaine de kilomètres, la Brauerei Roppelt à Stiebarlimbach et son keller des plus populaires, la Brauerei Kraus à Hirschaid et sa cuisine savoureuse, la Brauerei Friedel à Zentbechhofen et sa sublime Vollbier Hell en bouteille, la Brauerei Fischer à Greuth et sa Rauchbier charnue, la Brauerei Weber à Röbersdorf et sa Rauchbier plus délicate, la Brauerei Schwarzes Kreuz à Eggolsheim et son salon sombre, la Sankt-Georgen Bräu, à Buttenheim, en face de la Löwenbräu, la Brauerei Hennemann à Sambach et sa Lagerbier remarquablement similaire à sa Zwicklbier, et la Brauerei Barnikel, à Herrnsdorf, qui appartient à la même famille depuis le 14e siècle! Nous ne voudrions pas abuser du terme « paradis » dans ce guide de voyage brassicole, mais vous comprendrez que…

 Non, mais qu'est-ce que vous attendez pour aller en Franconie? 

La semaine prochaine, on s'enfonce dans la campagne à quelques dizaines de kilomètres à l'est de Bamberg, dans une région surnommée la Franconie Suisse afin de rejoindre une région forestière prisée des vacanciers allemands. Évidemment, il y a "quelques" brasseries artisanales familiales dans ce coin qui méritent autant d'attention que les plus courues de la Bavière. 

22 sept. 2011

Souvenirs de Zwanze Day

Photos: Alain Quévillon


Samedi dernier, le 17 septembre vers 14h30, j’attendais patiemment l’ouverture du Dieu du Ciel ! (« DDC ») sur le trottoir de l’avenue Laurier. Subitement, un individu qui n’écoute sûrement pas les nouvelles à la télé m’apostrophe :
« Qu’est-ce que vous faites là à attendre sur le trottoir? Qu’est-ce qui se passe ?»

Je vous le jure, il me lance ça comme si, événement peu probable s’il en est un, il ignorait que c’était jour de fête, le toujours très impressionnant anniversaire de DDC. Je n’ai pas pris la peine de lui annoncer que l’homme avait marché sur la lune ou encore que les infrastructures montréalaises ne tenaient qu’à un fil. Après tout, il paraît que les ignorants sont bénis.

Toujours est-il que la centaines de patientes sardines dont les dernières en file ont dû attendre plus d’une heure pour mettre la main sur un premier verre ont été récompensées par une sélection de bières plus délirante que jamais.

La plus populaire première offrande était probablement la Zwanze, rarissime lambic de Cantillon commercialisé sous une recette différente une fois l’an. La version 2011 s’appuie sur le Pinot d’Aunis, un obscur cépage dont presque personne n’a entendu parler et qui conférait à la bière des notes aigrelettes de griotte et de canneberge et un houblonnage à froid de Bramling Cross, un tout aussi obscur cultivar dont presque personne n’a entendu parlé en dehors de l’Angleterre. Ironiquement, certains Anglais lui reproche son caractère américain. À la base toutefois, le magnifique assemblage de Cantillon dégageait de rafraîchissants effluves citronnés agrémentées des notes lactiques, de cuir et chevaline de ses levures sauvages et flore bactérienne idiosyncrasiques. Le résultat était un lambic plutôt poli pour la maison, d’une belle élégance grâce à ses tannins souples et à son acidité équilibrée. Captivant et accessible.





La Hill Farmstead Abner était l’autre invitée d’honneur. Cette Imperial IPA dont nous avons déjà discuté sur ce blogue explose d’arômes houblonnés et résineux d’une fraîcheur inouïe. Il faut la sentir pour y croire. C’est d’une verdure telle qu’on cherche les cocottes de houblon dans notre verre.

Du côté des bières-maison, Dieu du Ciel ! offrait encore un éventail de bières vieillies en bouteille en plus des deux douzaines d’offrandes en fût. L’introuvable Péché Mortel vieillie en fût de bourbon américain était du lot non seulement en fût, mais aussi en cask. Du jamais vu ! Il nous a semblé qu’elle était plus portée vers l’alcool et le café qu’à ses dernières apparitions, modifiant quelque peu son appartenance au monde des bières-dessert, mais le bourbon restait intégré avec retenue.

L’étonnante Équinoxe d’Automne 2010 avait bien vieilli, affichant bien peu de traces d’oxydation et donnant toujours aussi faim grâce à ses puissants arômes fumés.

Face à un tel menu, il est toujours difficile de faire un mauvais choix. Règle générale, une bonne attitude à avoir est de cibler une ou deux bière(s) que nous tenons à essayer absolument et de chérir ces moments, mais de se laisser porter par les gens par la suite. En effet, il est impossible de faire le tour du menu de telles soirées. En revanche, puisqu’elles attirent quantité d’amateurs passionnés, elles représentent toujours une belle opportunité pour renouer avec de vieilles connaissances. Et c’est aussi et peut-être même surtout ça qui fait le charme de la bière artisanale. Une belle concentration de produits de qualité attire une belle concentration de gens de qualité. Au-delà de la bière pour laquelle sa réputation n’est plus à faire, l’anniversaire de Dieu du Ciel! continuera vraisemblablement à être le théâtre de belles découvertes humaines pour plusieurs années à en juger par la foule grandissante

16 sept. 2011

La Saison Voatsiperifery, du Brouhaha, à Montréal




La multitude de festivals de bières ces derniers temps nous ont fait tomber en amour plusieurs fois; avec de vieilles conquêtes que l'on revoyait pour l'occasion, mais aussi avec de nombreuses nouvelles flammes. C'est pourquoi vous pouvez vous attendre à quelques fiches "grand cru" toutes fraîches dans les prochaines semaines, toujours suivant la formule du 3e chapitre de La Route des Grands Crus de la Bière. Après une désaltérante vérification dans un environnement plus sobre qu'un festival, nous sommes maintenant certains de notre coup; nous aimerions louanger cette nouvelle Saison du Brouhaha!

Style : Saison, aromatisée au poivre Voatsiperifery de Madagascar. La Saison wallonne était initialement conçue pour abreuver les travailleurs des champs ; ce devait donc être une bière désaltérante. Aujourd’hui, le style a évolué et avoisine plus habituellement les 6% d’alcool, comme celle-ci d’ailleurs. L'ajout harmonieux du poivre n'est point traditionnel. C'est un bel exemple de la créativité du maitre-brasseur, Marc Bélanger.

Disponibilité : Le premier brassin embouteillé apparaîtra sur les tablettes des dépanneurs spécialisés en début octobre! Sinon, vous pouvez la trouver au fût de temps à autre au Brouhaha même.

Le coup d’œil : Une tuile de mousse s'établit sur la blancheur aux reflets dorés.

Le parfum : Un bouquet explosif met en valeur toutes les facettes de ce fascinant poivre Voatsiperifery. On s'imagine des agrumes, des fleurs et des herbes vertes poussant à travers les grains de poivre, titillant les voies olfactives et ce, jusqu'au fond du verre. Un parfum qui ne s'estompe pas!

En bouche : L'effervescence piquante soulève les céréales délicates qui, en tandem avec la levure, construisent des notes de pain frais. On remarque d'emblée que l'intensité du profil de saveurs est plus modéré que celui de l'arôme. Ce qui est très apprécié puisqu'on a davantage le goût de prendre de grandes gorgées! Le poivre est plus poli donc, s'immisçant dans les saveurs houblonnées avec diplomatie.

La finale : L'épicé du poivre s'allie à l'amertume herbacée des houblons pour une finale à l'image du profil de saveurs; rafraichissante et équilibrée. 

Accords : Salades vertes, poissons blancs, poulet, etc. Très versatile, cette Saison au poivre rehaussera plusieurs mets délicats tout comme elle saura se fondre dans un plat plus lourd et plus épicé. 

Pourquoi est-ce un grand cru? : En plus d'être créative et munie d'un profil de saveurs des plus harmonieux (les esters de levures produits, les houblons Saaz et les malts d'orge choisis semblent adorer le poivre de Magadascar), cette Saison nous fait profiter du meilleur de deux mondes: un arôme intense visant l'amateur de bières racées du Nouveau Monde et un profil de saveurs plus sage, digne d'une bière de soif du vieux continent.

Si vous avez aimé, essayez aussi : Dieu du Ciel! Noce de Soie (Montréal), Trou du Diable Saison du Tracteur (Shawinigan), Hill Farmstead Vera Mae (Vermont).

13 sept. 2011

Les joyaux de la campagne franconienne - 1ère partie


Aucun autre endroit au monde ne possède un si grand nombre de brasseries sur un si petit territoire. Visiter la Franconie, région du nord de la Bavière, c’est comme un retour à une époque où le transport de vivres était laborieux, forçant la majorité des villages à se munir de leurs propres brasseries. Ici, on peut déambuler dans n’importe quelle direction et assurément croiser une brasserie artisanale à tous les 4-5 kilomètres, parfois moins! Pour vous donner une idée, dans cette région à peine plus large que la grande région métropolitaine de Montréal, on y retrouve… 300 brasseries ! Inutile de dire qu’il est impossible de tout couvrir ce territoire brassicole en quelques semaines, voire même quelques années. De plus, cette idée paraît de plus en plus folle lorsqu’on découvre des coups de cœur tels que ceux que nous vous présenterons au fil des prochains billets. Nous tombons souvent en amour en Franconie; la qualité moyenne des lagers brassées ici nous oblige à revisiter quelques brasseries encore et encore... puis à considérer l'émigration vers ces contrées.

Voici donc, pour commencer, nos coups de cœur parmi les brasseries franconiennes situées tout juste à l’est de Bamberg. On peut s’y rendre facilement à vélo de Bamberg, puis continuer à pied entre les villages tellement les distances sont courtes.

Brauerei Sauer, à Rossdorf am Forst

Des fleurs rouges partout aux fenêtres, des tracteurs occasionnels, quelques émanations terreuses des champs environnants; tel est le paysage sensoriel qui se dégage de Rossdorf am Forst la plupart des après-midis d’été, assis au biergarten de la brasserie de la famille Sauer. En plus d’être un des plus beaux villages de la région, on se retrouve ici peut-être à une des meilleures brasseries de Franconie. La Urbräu, appelée Lagerbier lorsque servie par gazéification naturelle en fût, est d’une douceur remarquable, étalant des céréales légèrement toastées sur des houblons herbacés, boisées, le tout dans un corps moelleux tel un oreiller de plume. Et la Pils en bouteille est toute aussi désarmante… La famille possède aussi un keller à quelques mètres de là où l’on sert la Lagerbier d’un baril de bois, lorsque la température le permet. À l’écart de la route, entouré de verdure et de granges, attablés sous les marronniers, on prend rapidement le goût de converser avec les quelques vaches curieuses du voisin.



Brauerei Griess et Brauerei Krug, à Geisfeld

Le village voisin de Rossdorf am Forst, du nom de Geisfeld, est habité par au moins 400 personnes de plus. Vous aurez rapidement compris que cela justifie amplement la présence de deux brasseries artisanales dans le village plutôt qu’une… Côté bière, la Kellerbier de Brauerei Griess supplante la Lagerbier de Brauerei Krug si vous êtes du genre à être séduit par de saisissants houblons poivrés, herbacés et bien amers agencés à une personnalité rustique développée par la levure et les céréales. Si vous cherchez une bière moins amère et moins racée, mais toute aussi rafraichissante et sympathique, la Lagerbier de Krug sera parfaite pour accompagner des tranches de bœuf séché (Zwetschgen Baamers), une spécialité de la brasserie. La terrasse surélevée de Krug est d’ailleurs très conviviale; presqu’autant que le keller de Griess, un peu à l’écart du village, où nous pouvons boire, comme à Rossdorf am Forst, la bière phare de la maison soutirée à même le baril de bois. Les vaches de Geisfeld ont cependant tendance à être moins jasantes ici, mais les effluves de purin, en saison, vous rappelleront où vous êtes…



Brauerei Knoblach, à Schammelsdorf

Schammelsdorf est un autre de ces villages avec quelques maisons, quelques granges, une minuscule église et, vous l’aurez deviné, une brasserie artisanale. Situé en plein centre de la bourgade, là où la route devient sinueuse pour au moins 50 mètres, la Brauerei Knoblach se transforme en centre communautaire dès son ouverture. Des mères avec leurs enfants s’y attablent tôt pour avoir des places près des jeux, des vieillards y accourent (avec leurs marchettes, tout de même) chopes personnalisées en main, et tout villageois en quête de repos et de sustentation se trouve une place soit dans le salon vieillot, soit sous les marronniers afin de regarder le village… dormir. La Dunkel de la maison est splendide, pleine de notes toastées et légèrement rôties dans un corps svelte, autant que la Ungespundetes Lagerbier, une lager blonde doucement gazéifiée, épicée de houblons verts langoureux. Le désir d’y rester pour la journée devient insupportable. Quelle dilemme...


Si vous disposez de plusieurs jours dans ce secteur, sachez que dans un rayon de 10 kilomètres autour de ce noyau de brasseries exceptionnelles, vous pourriez aussi visiter la Brauerei Hoh à Köttensdorf et son succulent poulet laqué au poivre noir. Puis, le salon de la Brauerei Barth-Senger à Schesslitz et ses 4(!) tables, à quelques mètres de la Brauerei Drei Kronen, aussi à Schesslitz, et ses 8 ou 9 tables de plus. Aussi tout près, il y a la Brauerei Hölzlein à Lohndorf et son atmosphère familiale incomparable, puis la Brauerei Hönig à Tiefenellern et sa captivante Posthörnla délicatement fumée et miellée. Gardez l’œil ouvert sur la route pour de petits terreaux creusés dans des buttes, de véritables vestiges d’autrefois lorsqu’on entreposait la bière sous le sol afin de la garder au frais l’été. Oh, et que dire des deux brasseries de Memmelsdorf, toujours dans le même rayon de 10 kilomètres: la Brauerei Drei Kronen (une autre, oui) et la Brauerei Höhn, à quelques pas l’une de l’autre. Puis il y a les deux brasseries de Merkendorf, à côté de Memmelsdorf, Brauerei Wagner et Brauerei Hümmel, cette dernière brassant une variété impressionnante de styles, dont une Rauchdoppelbock. Tout ça, nous désirons le répéter, dans un rayon de 10 kilomètres à l’est de Bamberg. Paradisiaque, vous dites ?

La semaine prochaine, pour faire changement, on se dirige vers le sud-ouest (pourquoi pas?) de Bamberg afin de visiter certaines des meilleures brasseries de ce coin de la Franconie.